Parfois il en fallait très peu pour qu’elle ne se rappelle de ses souvenirs de Thaïlande.
Une odeur, une image. Une couleur, un mirage.
Cette fois-ci, c’était le simple fait d’avoir rêvé de sa grand-mère qui lui fit réfléchir à son passé, et à ses origines. A son adolescence tout comme à son enfance.
Elle avait ouvert les yeux, fixé son plafond, et alors que la jolie mélodie traditionnelle qui émanait de son téléphone résonnait dans sa chambre, elle avait juste soupiré. Même la sonnerie lui servant de réveil lui rappelait soudainement d’où elle venait, le chemin qu’elle avait parcouru avec Maliwan, et Sulawan, pour en arriver jusque-là.
Après tout, tous les trois avaient beau partir de la même case départ, ils étaient arrivés par des cases bien différentes à l’arrivée. Les dés jouant des tours inégaux à chacun. Le plateau et les conditions étaient pourtant les mêmes, mais ça ne suffisait pas. Ils avaient été les trois mêmes pions, étaient tous né le même jour, le 13 Novembre 1997, à quelques minutes d’intervalle chacun. Même père, même mère, même ADN, même sang. De vrais triplés, mais deux garçons pour une fille. Une jolie petite fille, souriante, entourées de ses deux frères, ses deux protecteurs. Au départ, ils avaient tous avancés ensemble, inséparable. Ils étaient passé par les mêmes difficulté, puis le dé avait été comme bizarrement pipé. Sumalee n’avait jamais compris pourquoi, mais elle faisait tout son possible pour être le plus disponible possible, toujours là pour ses deux frères qui pourtant se chamaillaient plus que de raison à ses yeux. Sulawan, c’était le plus turbulent des trois, mais elle ne lui en tenait pas rigueur, et elle continuait d’essayer d’être présente pour lui, même enfant. Maliwan, l’ainé, plus calme mais légèrement plus fragile que les deux autres. C’était tout pareil, elle voulait tout autant le protéger. Sumalee, elle, elle avait toujours été entre les deux, trouvant sa place, mais doutant néanmoins fortement de sa réelle situation. Parfois, elle ne savait plus où se mettre, de quel côté se ranger, car elle ne pouvait tout bonnement pas choisir, mais elle ne le montrait pas. Ce n’était pourtant pas non plus le genre de personne à ne pas savoir ce qu’elle voulait, après tout. Au contraire, elle était plutôt directe dans ses choix, d’habitude. Mais quand ça concernait ses jumeaux, c’était tout bonnement impossible. Alors elle restait entre les deux, les aimait tout autant, et se trouvait proche autant de l’un, que de l’autre.
La mélodie qui s'était arrêtée avait repris, mais la thaïlandaise n'avait toujours pas envie de tendre le bras pour y mettre fin. Elle se mit sur le côté, ses bras ramenant sa couverture contre son visage tandis qu'en fermant les yeux, elle se revoyait enfant, à danser sur cette musique que sa grand-mère appréciait particulièrement et sur laquelle elle même avait appris à danser. Peut-être était-ce d'ailleurs là la première chanson sur laquelle elle avait dansé au sein même de l'école de danse traditionnelle que pouvait gérer son aïeul, avec Maliwan et Sulawan. Sumalee gonfla les joues en se rappelant tout autant de cette époque où, finalement, seule elle et Maliwan avaient continué à danser et pratiquer. Elle n'avait jamais fait aucune remarque à ce sujet à quiconque, mais elle avait toujours pensé que son autre jumeau n'aurait pas dû abandonner. N'était-ce pas là une activité qu'ils avaient tous en commun et qui pouvait encore plus les lier ? Non, il s'était tourné vers le patinage artistique. Et Sumalee, qu'est-ce qu'elle trouvait ça beau. Jamais elle n'avait pensé que son frère se tournerait vers ce sport, ni même qu’il s’y intéresserait. Mais elle n'avait rien dit, et l’avait encouragé dans ses choix. Quand les autres trouvaient ça un peu barbant de regarder du patinage artistique à la télévision, Sumalee rendait parfois visite à son frère pour regarder avec lui, pour essayer de lui faire partager sa passion, parce qu'elle avait bien remarqué qu'il se renfermait de plus en plus. Même à l'école, ils n'étaient déjà presque plus ensemble, le plus jeune des jumeaux devant alterner cours et entrainements. Sumalee, elle restait presque tout le temps avec Maliwan, avec qui elle se trouvait même une nouvelle passion. En soit, elle avait été passionnée depuis son plus jeune âge par la danse, mais là c'était une véritable révélation. Hip Hop, Street Dance, et même Break Dance. C'était devenu son domaine, leur domaine. Elle n'avait depuis eu aucun doute sur son avenir. Elle reviendrait danseuse professionnelle, un point c'est tout. En plus, elle et son frère étaient clairement doués, bien plus doués que la plupart des camarades de leur groupe, au passage.
Sumalee se retourna de l’autre côté, faisant ainsi face à son mur où étaient accrochées plusieurs photos d’elle et de sa famille, d’elle et de ses amis qu’elle avait laissé à Bangkok. Cela faisait quoi, un peu plus d’un an et demi qu’elle était désormais arrivée au sein de la capitale coréenne ? Elle observe les photos et sourit doucement quand son regard se pose sur celle qu’ils ont pu prendre le jour de leur arrivée, alors qu’ils étaient venus pour faire une surprise à Sulawan qui avait quitté la maison 2 ans plus tôt en devenant patineur artistique professionnel. Certes, ils avaient aussi quitté la maison pour approfondir eux aussi leurs projets professionnels, mais leur jumeau en était une raison tout aussi importante. Qu’est-ce qu’elle pouvait en être fière, Sumalee, de Sulawan. Lorsqu’elle l’avait vu sur la glace, ce jour-là, elle avait sans aucun doute été la femme la plus fière au monde de ce patineur talentueux. Elle était même certaine que leurs parents ne pourraient jamais être aussi fiers qu’elle pouvait l’être de ses jumeaux. Puis, on ne sépare pas une équipe qui gagne, et les jumeaux Sukaphai avait été séparé depuis bien trop longtemps maintenant. Sumalee n’avait plus été aussi heureuse que depuis qu’elle avait retrouvé son autre frère. Son absence était insupportable. Elle avait vécu avec, mais n’avait jamais cessé de penser à lui, à le vouloir près d’elle. Pour venir ici, la jeune femme et son jumeau avaient dû faire leurs preuves. S’ils voulaient vivre de la danse, pour Sumalee, ils se devaient d’être les meilleurs. Mais leur complicité était telle que lorsqu’il dansait ensemble, lorsqu’il travaillait ensemble, on n’avait strictement rien à leur reprocher. Tout était parfait. La danse, c’était tout pour Sumalee qui pendant de nombreuses heures s’entrainait, avec ou sans Maliwan avec elle. Et c’est ainsi que le diplôme qu’ils avaient pu décrocher de leur école de danse lui avait même permis à son tour de pouvoir devenir professeur de danse. Elle avait enfin été considérée à son tour comme professionnelle dans ce milieu qu’elle aimait tant.
Alors oui, elle s’était installée en Corée, avec ses deux frères. Elle donnait des cours de danse, tout en continuant à danser au sein d’une nouvelle crew qu’elle et Maliwan avait créée en arrivant à Séoul. Tiens, ça lui faisait penser aussi qu’elle n’était toujours pas experte en la matière quand il était question de parler coréen correctement. Autant au niveau de la lecture, elle s’en sortait plutôt bien, mais parfois, sa prononciation était fausse. Souvent, même. En même temps, cela ne faisait pas non plus dix mille ans qu’elle était là. Et ce n’était pas du tout une question d’accent, mais véritablement de prononciation. D’ailleurs, une rapide grimace déforma son visage quand elle se rappela de ce garçon qui n’arrêtait pas de critiquer son coréen. Il s’était vu lui ? Est-ce qu’à sa place, il arriverait à parler thaïlandais aussi bien qu’elle pouvait parler coréen, tiens ! Elle préférait largement recevoir ces mignonnes remarques de la part des clients du salon de beauté où elle travaillait deux jours par semaine, plutôt que de ce garçon qu’elle connaissait à peine, mais qu’elle voyait bien trop souvent lorsqu’elle remplaçait son amie au café. Brr. Heureusement que ce n’était pas pour sa capacité à parler coréen qu’on l’embauchait. Mais elle faisait des efforts, et pensait même à prendre des cours plus sérieusement, abandonnant le côté autodidacte de la chose.
Quelqu’un toqua à la porte, et elle sourit. Elle n’avait pas envie de se lever, parce qu’elle préférait toujours dormir, rester dans son lit et ne jamais en sortir. Serrer dans ses bras cette peluche qu’elle gardait depuis sa naissance. Mais chaque matin, chaque jour, elle se levait pour eux, pour sa passion. Pour leur sourire, source même de toute sa motivation. Et aujourd’hui ne faisait pas défaut à toutes ces autres longues journées, alors elle avait délaissé son doux berceau pour rejoindre ses jumeaux, un sourire radieux sur ses fines lèvres.