Au début, il y avait la neige. Un petit poisson qui naissait. Et cette maison où le poisson grandit, entouré de ses grands-parents paternels et de ses parents.

Puis il y eut un autre poisson. Un troisième. Un quatrième. Un cinquième.

Ji Soo n'a jamais compris. Ils avaient déjà du mal à survivre, alors qu'elle était fille unique, alors pourquoi se rajouter des poids supplémentaires...? Ses frères et sœurs, elle les aime. Mais tout aurait été plus simple s'ils n'avaient pas été là. Parfois, elle se demande si ses otites auraient pu être mieux soignées, si elle avait été fille unique. Elle entendrait mieux.

Dans la petite maison, ils étaient neuf. Neuf pour trois chambres. Sa mère était serveuse dans un restaurant, son père pêcheur. Ils ne roulaient pas sur l'or, bien au contraire. Ils étaient loin de tout. Un petit village sans école, un seul arrêt de bus. Trois-quarts d'heure de trajet pour la "grande" ville.

Il fallait tout partager. L'argent. La nourriture. La chambre. Le lit. Les vêtements. Les fournitures scolaires.

En tant qu'aînée, Ji Soo avait malgré tout des privilèges. Elle testait tout avant les autres. Elle était celle qui aidait sa grand-mère au potager. Elle a été la première envoyée à l'école. La première à pouvoir prendre le bus seule. Elle pouvait oublier ses frères et sœurs, dans ces moments. A la maison, ils étaient toujours bruyants et elle... Elle ne comprenait parfois plus les mots, quand ça criait ou pleurait de trop. Alors elle se taisait.

Mais quand elle était seule, elle en profitait pour chanter, exprimait sa liberté en chantant fort les chansons qui passaient à la radio, au travail de sa mère. Seule, elle s'entendait sans problème. Même quand il pleuvait, elle chantait gaiement sous la pluie, en courant. C'était ses moments. Personne n'avait le droit de les lui voler. Le poisson devenait sirène.

Puis elle ne fut plus seule à aller à l'école. A prendre le bus. A courir sous la pluie.

Mais elle n'était plus la seule à apprendre des chansons en classe. Alors finalement, même s'il était clair qu'elle était la seule à vraiment aimer chanter, dans la fratrie, ça ne la dérangeait pas tant que ça, de ne plus être seule. Avoir quatre frères et sœurs, cela voulait dire qu'elle n'était pas la seule à devoir aider à la maison, à devoir surveiller les plus jeunes.

Au final, c'était presque mieux... Elle n'était jamais seule. Il y avait toujours quelqu'un pour l'écouter, lui répondre, l'encourager, répéter les choses plus fort et lentement. Et même lorsqu'elle était de corvée d'aide aux devoirs, dans la famille, ça ne la dérangeait pas. Elle aimait bien ça, l'école. Elle apprenait tellement de choses, toutes plus fascinantes les unes que les autres.

L'université, cependant, ça ne l'intéressait pas. Elle voulait chanter. Il n'y avait rien qui lui faisait plus plaisir au monde.

De toute façon, même si elle était bonne à l'école, ils n'avaient pas l'argent pour l'envoyer à Séoul. Ou rien qu'à Mokpo. Cette île où elle était née, Ji Soo ne l'avait jamais quittée, lorsqu'elle finit le lycée. Quelque part, ça lui faisait peur, de s'imaginer loin, à Séoul. Mais si elle voulait chanter... Il fallait qu'elle aille sur le continent. Qu'elle découvre la capitale, le monde.

Les livres ne lui suffisaient plus. Le poisson avait grandi, était devenu sirène et avait soif de découvrir la vie sur terre. La vie sans voir la mer dès qu'on tournait la tête. Alors Ji Soo travailla, dès qu’elle fut assez grande. Dans le restaurant où travaillait sa mère, il y avait une télé, la seule du village. Elle y regardait des dramas, avec les clients, encourageait les participants de ces émissions musicales. Apprenait les chorégraphies et paroles des chansons à la mode. Son rêve grandissait, alors même que l'infirmière du lycée lui confirmait une légère perte d'audition. Rien de réellement grave, en soi, assez pour qu'elle en ait peur. Pas assez pour qu'elle abandonne.

Tout le monde le sentait. La petite sirène allait partir. Elle n'avait plus sa place ici. Dans son village, elle devenait un espoir. On voulait la voir réussir.

La cousine par alliance de la fille aînée de la restauratrice offrit gîte et couvert à Ji Soo, le temps qu'elle puisse trouver mieux. La jolie sirène prit son envol, alors que Produce U finissait à peine. Elle avait vu débuter les différents participants et ne rêvaient plus que d'une chose : être comme eux. En attendant de pouvoir candidater, elle travailla et se fit une place à Séoul, s’adapta à la grande ville. Puis sa candidature fut acceptée, la lettre qu'elle envoya chez elle pour annoncer la nouvelle est encore affichée dans le restaurant.

C'était décidé. La prochaine qu'elle écrira sera pour annoncer ses débuts.